Août 25, 2011
Fil – Actualité poétique : Poésie et solitude (25/08/2011)
Poésie et solitude – Le Magazine Littéraire de juillet-août 2011 (n°510) a livré un dossier sur le thème de la solitude. Des poètes y sont représentés, à commencer par le latin Ovide (43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.), qui termina sa vie en exil à Tomes (actuelle Constanţa), sur le delta du Danube, à la frontière de la Roumanie et de l’Ukraine. Son courrier mettait six mois pour atteindre Rome…
« Je cherche souvent mes mots dans ma langue natale / à force de ne pas le parler / je perds mon latin / ce livre est sûrement farci de barbarismes / qu’on incrimine le pays pas le poète / pour ne pas oublier complètement ma langue / ni que mon accent fonde dans ma bouche fermée / (…) je répète des mots qui me deviennent étranges ». (…) Alors qu’il est couronné meilleur poète du Pont-Euxin [la mer Noire] (il en rit), honoré d’une dispense d’impôt, ses poèmes finiront même, comme à Rome, par lui attirer de graves ennuis. (…) »
Suit un article sur Charles d’Orléans (1394-1465), par Michèle Gally, qui a signé en 2010 chez Fayard Oc, oïl, si. Les Langues de la poésie, entre grammaire et musique, réunissant, pour la première fois, des textes des XIIIème et XIVème siècles traitant de la poésie.
Le duc, emprisonné durant 25 ans en Angleterre après la bataille d’Azincourt (1415), « joue finement des motifs et des accents de la tradition poétique de la fin’amor pour élaborer un lyrisme moderne où le sujet essentiel, sinon unique, est le moi singulier, solitaire, offert à notre compassion. (…) Bonne d’Armagnac, sa seconde épouse, est décédée pendant son exil anglais, (…). La mort de l’objet d’amour laisse le poète dans un désarroi dont il ne peut sortir qu’en rompant avec le lyrisme convenu qu’il cultivait jusqu’alors. Plus franchement encore qu’auparavant, la dame n’est pas la seule inspiratrice de la poésie, ni l’amour sa seule matière. (…) »
Et voici, présenté par l’essayiste et romancière Cécile Guilbert, prix Médicis Essai 2008, Luis de Góngora (1561-1627), « auteur des bien nommées Solitudes [traduites par Philippe Jaccottet aux éditions La Dogana, Suisse], le maître espagnol de la poésie baroque (…), dont Vélasquez a laissé un fameux portrait d’austérité contondante. (…) » Célèbre à 40 ans alors que sa production circule seulement sous forme manuscrite, « l’Inquisition censure pour paganisme, obscénité et subversion la première édition publique de ses œuvres, parue l’année même de sa mort. (…) ses vingt-cinq mille vers sombrent dans les oubliettes de l’histoire pendant deux siècles. (…) »
Un portrait de Góngora par Picasso, « qui se mesura à vingt de ses poèmes en 1947 », illustre l’article. Ajoutons que les 167 Sonnets authentifiés de « ce parangon d’« aristocratique solitude » (dixit Lorca) » ont été traduits par Michel Host (prix Goncourt 1986) pour les éditions Bernard Dumerchez (France).
Particulièrement intéressant, Jouer aux solitaires, à propos des jeux textuels des moines médiévaux. Un texte dû à Denis Huë, professeur de langue et de littérature du Moyen Âge et de la Renaissance à l’université de Rennes 2, qui a publié en 2010 Lectures de Charles d’Orléans (aux presses universitaires).
Nous apprenons que « dans ses Louanges de la Sainte Croix, le moine carolingien Raban Maur [780-856] compose son poème comme une planche, un carré de vers dont chaque ligne a le même nombre de lettres – premier exploit. Pensant la Croix, il la symbolise avec toute sorte d’éléments dessinés à même la page : des anges, des cercles, des lettres même qui créent un second texte, proprement crucial ; mais chacun des secteurs ainsi déterminés découpe, dans la chair du texte, un nouveau discours, dégage un nouveau sens, le texte ainsi délimité jouant tantôt à être palindrome (horizontal et vertical), tantôt à être signature du poète, tantôt les deux. Chaque planche est de plus accompagnée d’un vaste commentaire qui dégage le sens profond de ce qui est proposé. (…) » L’un de ses jeux poétiques étant reproduit.
Plus loin, on relève que « le texte peut recouvrir également du temps, du nombre ou de l’espace ; du temps, avec les « chronogrammes », qui se pratiquent dès le XVIème siècle, et invitent à additionner les lettres/chiffres romains pour indiquer une date. On trouve cela dans des poèmes certes : « AffIn que soIt haVLteMent hébergé [1057] / L’esprIt des Corps qVe partoVt on enterre [161] / PoVr Le bon brVyt de PIerre de BaVgé : [66] VIVe Le roy et en CIeL et sVr terre [217] / Les lettres mises en arroy / Feront l’an du trespas du roy [1501]. (…) »
« Il est toujours risqué de parler seul : le poète s’y essaie, s’imaginant avec Dieu, contre lui-même ou face à d’autres hommes ; (…) ».