Juin 7, 2011
Fil – Actualité poétique 1/2 (07/06/2011)
Exposition « Présence africaine » (Sénégal) / Afro-atomiste / Javier Sicilia (Mexique) / Gonzalo Rojas (Chili) / Hamid Skif (Algérie) / Souffleurs de vers (France) / Poésie et mariage royal (Angleterre) / Londres et la poésie / Van Dongen et Anna de Noailles / Festival international de poésie (Pays-Bas) / Poésie et espace / Callimaque
Présence africaine (Sénégal) – Documents d’archives, enregistrements et photos sont réunis à la Bibliothèque Centrale de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, jusqu’au 26 juin 2011, dans le cadre de l’exposition « Présence africaine : une tribune, un mouvement, un réseau », autour de la fameuse revue fondée en 1947, qui devint maison d’édition en 1949, la plus réputée en ce qui concerne la littérature africaine. On se souviendra que Senghor et Césaire, pour ne mentionner qu’eux, firent partie de cette aventure éditoriale. Voir www.ucad.sn et www.presenceafricaine.com
Une biographie du fondateur méconnu de la revue, Alioune Diop (1910-1980), est disponible depuis peu aux éditions Lethielleux (Paris) : Alioune Diop, le Socrate noir de Philippe Verdin. Le regretté Edouard Glissant disait de lui : « Il était l’Afrique, mais aussi toutes les Afriques dans leurs plus secrets prolongements, il était son pays, le Sénégal, et aussi tous les pays qui s’obstinent pour ne pas périr, il était son lieu, mais son lieu était ouvert à tous les lieux du monde. » (Jeune Afrique, 10-16 avril 2011).
Afro-atomiste – Chaque année, un hors-série de la revue Jeune Afrique dresse un « état de l’Afrique », essentiellement du point de vue économique. Le n°27 daté de mai 2011 contient une tribune de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, avec ce passage qui a retenu notre attention : « (…) la « diasporisation » n’est pas un phénomène nouveau en lettres africaines, mais le fossé entre les écrivains d’ici et d’ailleurs s’est beaucoup creusé. Si Senghor et Césaire se rencontraient aujourd’hui, ils n’auraient rien à se dire ! (…) ».
« Le monde n’est plus digne de l’écriture, (…). Je ne peux plus écrire de poésie, la poésie n’existe plus en moi. » (Javier Sicilia) – Sous le titre « Au Mexique, un poète s’est levé », l’hebdomadaire Courrier International du 12-18 mai 2011 nous a informé de la poursuite de l’action civique de Javier Sicilia, consécutive à l’assassinat de son fils, fin mars (voir Fil du 26/04/2011). « (…) Le 5 mai, il est parti à pied de Cuernavaca, avec plusieurs centaines de partisans, pour rejoindre trois jours plus tard le cœur de la capitale. Leur slogan ? « Pas un mort de plus ! » A l’arrivée, ils étaient au moins 85.000 (…). » Le quotidien de gauche La Jornada, dont Sicilia est un collaborateur, a ajouté : (…) « le plus important, dans cette marche conduite par un poète, c’est que, devant l’incompétence des autorités, la société civile s’est érigée en interlocutrice des groupes criminels qui ensanglantent le pays. (…) » Dans son édition du 1er juin 2011, Courrier International a imprimé de larges extraits, en français, du discours que le poète a prononcé sur le Zócalo (place centrale) de Mexico.
Gonzalo Rojas (Chili) – Né en 1917, le poète Gonzalo Rojas est décédé à Santiago le 25 avril dernier. Il était considéré comme l’un des plus grands auteurs latino-américains contemporains, son premier recueil, La Misère de l’homme, ayant été publié en 1948 (traduit en français aux éditions de La Lettre volée, Bruxelles, 2005). Parti en exil suite au coup d’Etat de 1973, ce fils de mineur fut professeur d’université au Chili et à l’étranger. Il reçut le Prix Cervantes 2003, la plus haute distinction de la littérature en langue espagnole. Son œuvre, influencée par le surréalisme, a été traduite en plus de dix langues. A noter que le gouvernement a décrété deux jours de deuil national.
Hamid Skif (Algérie) – Autre décès, à 59 ans, celui du journaliste et poète Mohamed Benmebkhout, alias Hamid Skif. Il fut révélé dès 1971 dans l’anthologie de la jeune poésie algérienne due à Jean Sénac. Souvent en délicatesse avec les autorités de son pays, il échappa à des tentatives d’assassinat durant la première moitié des annnés 1990. On lui doit notamment Poème de l’adieu (éditions Autre Temps, Marseille) en 1997, année de son installation en Allemagne, en « transit temporaire » à Hambourg…
Souffleurs de vers (France) – Sur deux pages, photo à l’appui, l’hebdomadaire Télérama du 18 mai 2011 s’est intéressé à un « rassemblement d’individus oeuvrant au « ralentissement du monde » avec les seuls outils de la poésie. » Un collectif de 31 Souffleurs au total, vêtus de noir, agissant toujours en nombre impair sur les lieux publics, avec leurs « Rossignols » de 1,80 m de long, des tubes en carbone, en fibre de verre et en carton « qu’ils posent incongrûment sur le bord d’une oreille anonyme avant d’y glisser le murmure ou le soupir d’un poème. » Sans jamais souffler la même chose… L’initiative est du comédien Olivier Comte (« la poésie est l’autobiographie de l’espèce humaine »), auteur en janvier 2001 d’un « Manifeste du Chuchotement ». L’article détaille la démarche de ce « commando d’intervention poétique » (composé d’acteurs, de musiciens, de danseurs, de plasticiens,…), leur QG étant situé dans un grand hangar d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le journaliste Daniel Conrod écrit : « Il faut avoir vu cela pour le croire. L’effet que produisent sur n’importe qui – jeune ou vieux, riche ou pauvre, homme ou femme, orgueilleux ou modeste, pacifique ou guerrier – des mots simplement murmurés. » Voir www.les-souffleurs.fr
Poésie et mariage royal (Angleterre) – Le mariage « du siècle », celui de Kate et William, a été l’occasion d’entendre parler de poésie. Il est vrai que le site de l’abbaye de Westminster, fondée au 7ème siècle, est l’endroit où reposent nombre de personnalités de l’histoire d’Angleterre, dont des poètes. On trouve ainsi dans le « Poets’ Corner » : William Blake (1757-1827), Robert Burns (1759-1796), Lord Byron (1788-1824), Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), John Dryden (1631-1700), T.S. Eliot (1888-1965), Thomas Gray (1716-1771), Gerard Manley Hopkins (1844-1889), John Keats (1795-1821), Rudyard Kipling (1865-1936), John Masefield (1878-1967), John Milton (1608-1674), Alexander Pope (1688-1744), Nicholas Rowe (1674-1718), Thomas Shadwell (v.1642-1692), Percy Bysshe Shelley (1792-1822), Alfred Tennyson (1809-1892), Dylan Thomas (1914-1953), William Wordsworth (1770-1850), etc. Au cours de son homélie, l’évêque de Londres, Richard Chartres, a cité le poète londonien Geoffrey Chaucer (v.1343-1400), qui fut qualifié par John Dryden de « père de la poésie anglaise » : « Whan maistrie [mastery] comth, the God of Love anon / Beteth his wynges, and farewell, he is gon. »
Londres et la poésie – Actualité oblige, le mensuel Lire a préparé un dossier sur la littérature dans la capitale britannique pour son numéro de mai 2011. Que retenir au sujet des poètes ? Dans « Londres d’âge en âge », on apprend que Chaucer « fut engagé aux douanes du port. Son métier de « vérificateur » lui laissa le temps d’écrire les Contes de Canterbury. » William Blake naquit dans Soho, à Broadwick Street : « une plaque indique qu’il y vécut jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. (…) Le précurseur du romantisme anglais aimait fréquenter les abords de la Tamise. Il a vécu à Lambeth, puis dans South Molton Street (près de Regent Street) et sur le Strand, (…) ». Né dans le centre de la cité, John Keats rencontra Shelley dans le quartier de Hampstead : « on peut visiter la maison où il vécut quelques années. » Un autre article, « La ville vue par les écrivains froggies », signale que Stéphane Mallarmé séjourna dans la capitale en 1862 et qu’il y épousa Maria Gerhard. Dix ans plus tard, Verlaine et Rimbaud logent dans Howland Street. « Verlaine reviendra plusieurs fois, seul. (…) En 1894, il publie le recueil Un tour à Londres (…) ». Traducteur de Coleridge, Valéry Larbaud s’installa à Chelsea en 1908. Enfin, « en compagnie du photographe Izis, Jacques Prévert arpente la ville des semaines durant en quête des fantômes et de la « la substance lyrique de cette ville » (dira Pierre Mac Orlan). » Dans Charmes de Londres (1952), « le poète évoque le temps où « sir Jack l’Eventreur téléphonait aux dames de Mayfair ou de Piccadilly », (…). »
Van Dongen et Anna de Noailles – « Le « peintre des bordels » du début du siècle sera, durant les Années folles, celui du Tout-Paris…» En présentant l’exposition « Van Dongen – Fauve, anarchiste et mondain », au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 17 juillet 2001 (voir www.mam.paris.fr), l’hebdomadaire Le Vif-L’Express du 22 avril 2011 a reproduit un portrait (1931) de la poétesse Anna de Noailles, « typique de la période mondaine » de Kees Van Dongen (1877-1968). Le Néerlandais fut qualifié de « poète bestial des bijoux et des fards et de la chair profonde où la mort et la cruauté veillent sous l’ombre chaude des aisselles et les blessures du carmin » par l’historien d’art Élie Faure (Beaux Arts, mai 2011). Dans sa série « Une ville, une personnalité », le quotidien La Croix des 2-3 avril 2011 a livré un article sur « Évian-les-Bains, douce rêverie d’Anna de Noailles ». La comtesse d’origine roumaine (1876-1933) « a nourri son âme bien des années avant la publication de son premier recueil, Le Cœur innombrable, en 1901, l’année de ses 25 ans » dans cette station thermale sur le lac Léman. Précision : inhumée au Père-Lachaise de Paris, son « cœur repose en réalité au cimétière de Publier, commune voisine d’Évian. »
Festival international de poésie (Pays-Bas) – Du 14 au 19 juin 2011, le thème « Chaos et Ordre » sera développé lors de la 42ème édition du « Poetry International Festival » de Rotterdam. Lectures et débats entre poètes (inter)nationaux au Rotterdamse Schouwburg (théâtre). Voir www.poetry.nl
« Avec Gagarine, on pouvait s’émerveiller. Aujourd’hui, la poésie s’est épuisée. » – Un hors-série (n°166, avril-mai 2011) de Sciences et Avenir sur « Les héros de l’espace » contient une surprenante référence à la poésie antique par l’intermédiaire du philosophe et philologue Heinz Wismann, né en 1935, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris : « (…) Relisez ce qui a été écrit au début de l’aventure spatiale : on y trouve tous les poncifs de la mythologie homérique. L’héroïsme n’existe pas s’il n’y a pas, pour le dire, le langage de l’épopée. (…) il est frappant de constater que, dans l’Iliade d’Homère, le terme d’éthos signifie d’abord « étable », l’éthique (sous-entendu éthiké techné) définissant à partir de là les modalités d’un « retour à soi » après avoir été « emporté » par la passion. C’est le destin des héros : ils s’en vont, combattent et rentrent le soir, comme le bétail. On peut y voir une « stabilisation », au sens étymologique du terme, suite à une exposition à l’inconnu, au danger, au risque. Dans l’aventure spatiale, il y a l’arrachement, l’espoir de retour, mais pour assurer ces deux conditions, il a fallu développer une protection technologique qui annule quasi instantanément l’héroïsme de l’aventure, du moins sur le plan de l’imaginaire. (…) »
Callimaque – Le n°122 (avril-mai 2011) des Cahiers de Science & Vie a pour thème « Alexandre le Grand, au-delà du mythe ». Un article au sujet de La bibliothèque d’Alexandrie, cité des savants nous rappelle le rôle fondamental joué par le poète Callimaque de Cyrène (v.305-v.240) dans la réalisation d’un catalogue raisonné de l’immense collection de rouleaux (en feuilles de papyrus), on en aurait compté jusqu’à 490.000, « souvent dépourvus de titre ou d’auteur ».