Juin 16, 2011
Fil – Actualité poétique 2/2 (16/06/2011)
Martin Rueff sur Michel Deguy / Parménide / Novalis / Rony Brauman / André Velter / Antonin Artaud / Hubert Haddad / James Blake (Angleterre) / Exposition « Richard Prince. American Prayer » / Le géant oublié de la poésie espagnole / Le « chant profond » du printemps arabe / « La ville des poètes et des artistes. » (Inde).
Martin Rueff sur Michel Deguy – En 2009, le poète Martin Rueff, né au Canada en 1968, rédacteur en chef adjoint de la revue Po&sie, signait un ouvrage sur le fondateur et directeur de la revue, créée en 1977 : Différence et identité. Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel, aux éditions Hermann (Paris), dans la collection « Le Bel Aujourd’hui ». Il est cité dans Le Magazine Littéraire de mai 2011 : « Ce qui rend la poésie de Deguy [né à Paris en 1930] si difficile, c’est son rapport à la philosophie dans les poèmes mêmes, dans le réseau des images et le système du vers. Si Deguy est si grand c’est parce qu’il a été le seul poète à intervenir dans le débat qui me semble structurer tout le champ de la pensée française de l’après-guerre à nos jours, de Deleuze à Derrida en passant par Heidegger : celui de la différence et de l’identité. » Voir www.pourpoesie.net/index.php
Parménide – Chez Gallimard, traduction française d’un cours de l’influent philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976), portant sur Le Poème du plus ancien des penseurs grecs, né à la fin du 6ème siècle avant J.-C. et mort au milieu du suivant. Une méditation axée sur la question de la vérité dans la pensée occidentale… Pour rappel, outre sa conférence de 1946 sur « Pourquoi des poètes ? », Heidegger consacra de nombreux séminaires à la poésie, par exemple sur Hölderlin, Rilke ou encore Novalis.
« La poésie est la religion originaire de l’humanité.[] » (Novalis) – Récente parution aux éditions Le Félin (Paris), dans la collection « Les marches du temps », de Novalis, première véritable biographie en français du jeune poète et philosophe allemand (1772-1801). En près de 300 pages, Olivier Schefer analyse la personnalité et l’œuvre de celui qui, appartenant à la première génération romantique, voulut « poétiser les sciences » afin de « romantiser le monde »…
Dixit – Rony Brauman, 60 ans, président de Médecins sans frontières (MSF) de 1982 à 1994 : « J’ai au moins dix livres sur la mécanique quantique dans ma bibliothèque. Je suis aussi fasciné par l’astrophysique. Ce qui me plait avant tout dans ces disciplines, c’est leur dimension poétique. » (La Recherche n°451, avril 2011).
André Velter – Le trentième numéro du Magazine des Livres (mai 2011) inclut un entretien avec le directeur de la collection «Poésie » chez Gallimard, André Velter, dont le nouveau recueil paraît sous le titre Paseo Grande. Epinglons les extraits suivants : « (…) La poésie n’obéit pas aux lois habituelles du commerce, son temps n’est pas celui de la mesure commune, autrement dit de l’ordre marchand qui voudrait tout régenter. L’année de sa publication, Alcools d’Apollinaire a été diffusé à 241 exemplaires, le même titre a désormais (toutes éditions confondues) dépassé les deux millions d’exemplaires. Et cet exemple peut être repris, de façon moins éloquente certes, pour nombre d’auteurs. (…) il est beaucoup plus difficile, pour les critiques, d’entrer dans un livre de poèmes, d’en suivre les fulgurances, les effractions, les égarements voire (osons le mot comme jadis les poètes du Grand Jeu) les révélations. (…) il est des vers qui à eux seuls forcent l’Histoire. Souvenez-vous du débarquement [6 juin 1944] et des « sanglots longs des violons de l’automne » ! Nous étions pourtant à la veille de l’été. (…) Les poètes contemporains sont au contact, si j’ose dire, des poètes classiques : le but n’est pas d’édifier je ne sais quel panthéon, mais d’activer le courant poétique, avec éblouissements, courts-circuits, voire électrochocs. (…) Voir Fil du 29/03/2011 et du 9/04/2011.
Antonin Artaud – Le philosophe Jacob Rogozinski, professeur à l’université de Strasbourg, propose un essai qui est une relecture de l’œuvre du torturé Antonin Artaud (1896-1948) : Guérir la vie. La Passion d’Antonin Artaud, aux éditions du Cerf (Paris), dans la collection « Passages ». « Cette vérité du moi-chair qu’il voulait faire résonner dans la langue et le rythme du poème, sommes-nous enfin capables de l’entendre ? »
« Où est la poésie ? Et la mettez-vous au-dessus de tout ? » (Hubert Haddad) – Fondateur de la revue littéraire Le Point d’Être, il publia des inédits d’Antonin Artaud… Romancier et poète, son premier recueil (Le Charnier déductif, éditions Debresse) datant de 1967, Hubert Haddad, « juif de Tunis émigré à Paris », né en 1947, voit ressortir ses Nouvelles du jour et de la nuit, pour les 20 ans des éditions Zulma (Paris). L’hebdomadaire Le Point du 28 avril 2011 l’a rencontré : « (…) La poésie est bien l’origine de la parole, son mystère. Même un discours de ministre, du point de vue de ce mystère, tient fortuitement du poème. Dans le récit, j’aimerais ouvrir le poème à l’histoire commune, aux mille réalités, comme un palimpseste. Mais rien n’égale Rimbaud ou Mallarmé en beauté, à part Bach ou Couperin, à part la musique. (…) »
« Le minimalisme est une forme de pragmatisme. » (Angleterre) – A 22 ans, James Blake, le nouveau prodige de la scène pop anglaise, a sorti son premier album chez Universal Music. « Adepte du haïku ou du mantra pour ses paroles », il a déclaré au Monde Magazine du 23 avril 2011 : « (…) J’ai toujours écrit de la prose, un peu de poésie. Je n’avais pas l’habitude d’écrire des chansons, alors parfois, j’ai repris de longs poèmes que j’avais écrits et je n’ai gardé que la partie qui me plaisait vraiment, qui me correspondait totalement. C’est aussi simple que ça. (…) »
« Richard Prince. American Prayer » – Jusqu’au 26 juin 2011 se tient dans la grande galerie de la Bibliothèque nationale de France (site « François Mitterrand ») une exposition consacrée à Richard Prince, né en 1949, peintre, photographe et bibliophile (sa collection compterait plus de 200.000 volumes !). Sont présentés au public des manuscrits de Rimbaud, d’Artaud, de Cocteau et de Genet. Le travail de Prince est particulièrement inspiré par la « Beat Generation » américaine… Relevons que le titre de l’exposition provient du poème An American Prayer (1970) de Jim Morrison : né en 1943, le chanteur du fameux groupe rock The Doors avait une réputation de poète maudit et mourut à Paris il y a juste 40 ans, le 3 juillet 1971. Voir www.bnf.fr
Le géant oublié de la poésie espagnole (Juan Ramón Jiménez) – Les éditions Linteo (Ourense, en Galice) viennent de sortir Arte Menor (« Art mineur »), de Juan Ramón Jiménez (1881-1958), prix Nobel de littérature en 1956. Il s’agit de la première édition d’un recueil conçu en 1909. Le mensuel Books de mai 2011 s’en fait l’écho, incluant deux extraits traduits en français. Et de citer Federico García Lorca, en 1936 : « Il y a deux maîtres : Antonio Machado et Juan Ramón Jiménez (…), grand poète troublé par une terrible exaltation de son moi, écorché par la réalité qui l’environne, incroyablement déchiré par des riens, à l’affût du moindre bruit, véritable ennemi de son exceptionnelle et merveilleuse âme de poète. » Voir Fil du 5/01/2011.
Le « chant profond » du printemps arabe – Reprenons ici un passage intéressant de la chronique de Jean-Claude Guillebaud, parue dans Le Nouvel Observateur du 21-27 avril 2011 : « (…) Quand Péguy écrivait que « Tout commence en mystique et finit en politique », il n’avait qu’à moitié raison. L’impulsion poétique d’une insurrection survit toujours aux défaites et aux répressions. Les balles franquistes qui tuèrent Federico García Lorca le 19 août 1936 près de Grenade n’ont jamais fait taire ses poèmes. Notamment ce vers où Lorca, évoquant la politique, suggère aux poètes de « plonger dans la glaise jusqu’à la ceinture pour aider ceux qui cherchent les lys ». Les tracts-lys qui furent distribués hier à Tunis ou au Caire et le sont encore aujourd’hui, de Benghazi à Damas en passant par Sanaa, auront la même fonction (fécondatrice) que le Canto jondo (chant profond) andalou de Lorca. (…). » Voir Fil du 10/03/2011.
« La ville des poètes et des artistes. » (Inde) – A voir au musée Guimet de Paris, jusqu’au 11 juillet 2011, l’exposition « Une cour royale en Inde : Lucknow (XVIIIème – XIXème siècle) ». L’actuelle capitale de l’Etat de l’Uttar Pradesh fut une cité de princes et de poètes, la plus prospère des Indes entre 1750 et 1850, suite au pillage de Delhi par le Persan Nâdir Shâh, en 1739, qui poussa vers ce qui était alors la province d’Awadh artistes et lettrés. Terre d’asile, Lucknow, la « perle de l’Asie » vit se développer une cour de nawabs (« nababs » en français) abritant joutes musicales et poétiques. Attachant, le personnage du roi danseur et poète Wajid Ali Shah (1822-1887), dixième et dernier nawab, déchu par les Anglais en 1856, et qui mourut en exil à Calcutta. Voir www.guimet.fr