Mar 29, 2011
Fil – Actualité poétique (29/03/2011)
Grand-Duché de Luxembourg / Poésies nordiques / Ryoko Sekiguchi (Japon) / Hubert-Félix Thiéfaine (France) / Cees Nooteboom (Pays-Bas) / Anthologie de la poésie arabe d’Espagne / Nadir Mohamed Aziza (Tunisie) / Peter Sloterdijk (Allemagne) / Pierre Lepère (France) / Gallimard et la poésie / Alejandra Pizarnik (Argentine) / Poètes de la Grande Guerre / Poésie et Première Guerre mondiale.
D’infinis paysages (Grand-Duché de Luxembourg) – Nos voisins grand-ducaux vont célébrer la poésie les 1, 2 et 3 avril 2011 grâce à la 4ème édition du Printemps des poètes – Luxembourg, en partenariat avec plusieurs ambassades et centres culturels étrangers. Le thème est, selon le poète et dramaturge Jean-Pierre Siméon, parrain de la manifestation, une manière d’« exprimer les liens profonds qui unissent l’homme à la nature, les célébrer ou les interroger est un des traits les plus constants de la poésie universelle. Mers et montagnes, îles et rivages, forêts et rivières, ciels, vents, soleils, déserts et collines, la plupart des poèmes portent comme un arrière-pays la mémoire des paysages vécus et traversés. Se reconnaître ainsi tributaire des infinis visages du monde, c’est sans doute, comme le voulait Hölderlin, habiter en poète sur la terre. » La Grande nuit de la poésie, le samedi 2 avril à l’abbaye de Neumünster, sera l’occasion de rendre hommage au poète polonais Czeslaw Milosz, prix Nobel de littérature en 1980, dont on fête cette année le centenaire de la naissance. On notera aussi que quatre établissements scolaires supplémentaires se joindront aux activités prévues. Voir www.prinpolux.lu
Poésies nordiques – Le récent Salon du Livre de Paris (31ème édition) avait pour invitées d’honneur les « lettres nordiques » : Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède. Dans leur édition du mois de mars 2011, les mensuels Lire et Le Magazine Littéraire ont consacré une large place à ce « quintette des neiges ». Lire présente deux poètes suédois, Torgny Lindgren, né en 1938 (« tisse les liens de la vie avec une quête spirituelle »), et le « nobélisable » Tomas Tranströmer, né en 1931. On trouve également un portrait de Steinn Steinarr (1908-1958), « un des plus grands poètes islandais », et un bref rappel sur Le Kalevala finlandais, « sorte d’Iliade boréale » de 20.000 vers due au poète-médecin Elias Lönnrot (1802-1884). Le Magazine Littéraire signale que « les Islandais se sont rendus maîtres puis spécialistes de la poésie scaldique, qui reste, à ce jour, la poésie la plus sophistiquée, la plus élaborée, la plus complexe qu’ait jamais composée l’Occident. »
Ryoko Sekiguchi (Japon) – Le 17 mars 2011 a vu la diffusion d’un numéro spécial du quotidien Libération, 45 écrivains racontant l’actualité. La poétesse Ryoko Sekiguchi, née à Tokyo en 1970 et qui vit à Paris, a rédigé Sur la rétine, la catastrophe, avec ses impressions à propos du séisme-tsunami qui a frappé cruellement son pays : « (…) cette fois-ci, étant à l’étranger, j’ai encore ressenti autre chose : qu’il y a des gens qui ne connaissent pas cela, qui n’ont jamais de leur vie été confrontés à une telle situation, comme ici les Français – c’est une chance inouïe. »
« Le comble pour Hubert-Félix Thiéfaine ? Etre un jour considéré comme un poète populaire… » – 30 ans de carrière, plus de 4.500 concerts… L’auteur-compositeur-interprète français né en 1948, « qui remplit Bercy en toute discrétion », s’est remis au grec pour lire l’Iliade dans le texte ! Il a confié à l’hebdomadaire Marianne du 12-18 mars 2011 : « Je me considère avant tout comme un chanteur. Le mot « poète » dans la chanson est étrange : Brel le refusait. En France, s’il n’y a pas la date du décès, on ne peut entrer dans la poésie. »
Cees Nooteboom (Pays-Bas) – Le romancier néerlandais, né en 1933, « fasciné par la culture japonaise et fou d’Espagne », a produit « deux œuvres d’une revivifiante poésie » qui ont été traduites et éditées chez Actes Sud (Arles). Celle qui nous intéresse plus particulièrement s’intitule Tumbas. Tombes de poètes et de penseurs, avec des photographies en noir et blanc de sa compagne, Simone Sassen. Dans Le Monde des Livres du 4 mars 2011, Florence Noiville écrit : « Nooteboom s’est fréquemment trouvé dans les parages de tombes de poètes ou de penseurs. Ces vieux amis, il n’a pas manqué d’aller les saluer alors. Et, à force, il y a pris goût. Au point d’entreprendre nombre de voyages spécialement dans le but d’aller rendre visite à Stevenson sur son mont Vaea, à Walter Benjamin à Port-Bou, à Bioy Casares à la Recoleta, à Proust au Père-Lachaise, à Kawabata dans une nécropole japonaise où tout à ses yeux était une énigme… (…). » Près d’une centaine d’auteurs (Goethe, Joyce, Neruda…) font partie de ce pèlerinage littéraire assez spécial ! « Les poètes ne sont pas des défunts ordinaires. Ils sont certes morts, sinon ils n’auraient pas de tombe, mais en réalité, ils ne sont nulle part. Ils dansent dans l’air. Ils nous parlent comme ils parleront à ceux qui ne sont pas encore nés ! »
Le Chant d’al-Andalus. Une anthologie de la poésie arabe d’Espagne – Sur près de huit siècles, la poésie arabe a connu un développement admirable en Andalousie. Une quarantaine de poètes, hommes ou femmes de toutes conditions, sont traduits de l’arabe, avec notices biographiques et critiques, ainsi que des résumés historiques pour chaque période littéraire. Magnifique édition bilingue par Hoa Hoï Vuong et Patrick Mégarbané, chez l’éditeur Sinbad/Actes Sud (Paris), dans la collection « La Petite Bibliothèque de Sinbad ».
La cendre et le jasmin (Tunisie) – Sur une page, le mensuel La Revue de mars 2011 (n°10) nous fait découvrir un poème de Nadir Mohamed Aziza, né en 1940, poète tunisien et chancelier de l’Académie mondiale de la poésie, créée à Vérone par l’UNESCO en 2001. Un texte dédié à la mémoire de Mohamed Bouazizi, « messager de l’aube », le jeune vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu en décembre dernier, son acte désespéré étant à l’origine de la révolution en Tunisie. Un extrait : « Nous aurons charge d’inventer / Un lieu sans enclos / Un temps sans fracture / Une fraternité sans entrave / Pour bannir le temps des loups. »
Peter Sloterdijk (Allemagne) – Le philosophe allemand nietzschéen Peter Sloterdijk a livré en 2009 un essai dense sur la nature humaine, Du mußt dein Leben ändern ! La traduction française (Tu dois changer ta vie !) vient de paraître chez Libella-Maren Sell Editeurs (Paris). Il a déclaré à l’hebdomadaire Le Point du 10 mars 2011 : « Le titre de mon livre est une citation d’un poème célèbre de Rainer Maria Rilke, Torse archaïque d’Apollon. Il faut y entendre une double résonance : d’un côté, je cite un poète qui, dans une œuvre d’art, perçoit un appel d’envergure universelle, de l’autre, j’entends un impératif qui ne s’adresse qu’à moi seul. »
Et vous, êtes-vous normal ? (Pierre Lepère) – Avec ce titre interpellant, le dossier du n°47 (mars 2011) de Philosophie Magazine contient le témoignage de Pierre Lepère, « écrivain injustement méconnu », qui a publié en 2008 le recueil de poèmes Cœur citadelle (éditions de la Différence, Paris). Il a vécu dans la rue de 1965 à 1968 : « (…) Sur de grandes feuilles d’écolier quadrillées, je griffonnais des petits poèmes et les distribuais ensuite. Je me moquais bien que mes quatrains fussent bons ou mauvais, espérant seulement qu’ils fussent plus vivants que moi ! A ma grande surprise, la poésie était une monnaie qui avait cours dans les milieux interlopes où je naviguais à vue. Leurs espoirs et leurs passions, mes partenaires de famine les retrouvaient aussi intacts sous ma plume débutante que dans leurs rêves, et ils me le murmuraient en m’étreignant de toutes leurs pauvres forces comme si je les avais couverts d’or. »
Gallimard et la poésie – Le siècle d’existence de la maison d’édition Gallimard est abondamment commenté dans la presse. Nous retiendrons que la collection « Poésie », au format poche, lancée en 1966, compte 466 titres parus (le premier d’Eluard), la meilleure vente étant Alcools de Guillaume Apollinaire avec au moins 1.135.000 exemplaires ! Voir www.gallimard.fr
« Le vide. Apollinaire conseillait, pour vaincre le vide, d’écrire un mot, puis un autre et un autre, jusqu’à ce que le vide se remplisse. » (Alejandra Pizarnik) – Le mensuel Books n°20 (mars 2011) offre une synthèse de commentaires parus dans la presse hispanophone au sujet du journal, Diarios, de la poétesse argentine, décédée à 36 ans en 1972. Ces pages ont été rééditées au cours de l’automne 2010 par les éditions espagnoles Lumen (Barcelone), une grande partie d’entre elles ayant été publiées quelques mois plus tôt, pour la première fois en français, aux éditions José Corti (Paris), sous le titre Journaux. 1959-1971.
« La poésie française de la Grande Guerre est méconnue. » – Éditrice et biographe d’Apollinaire, maître de conférences à l’université de Paris Est-Créteil, Laurence Campa a écrit Poètes de la Grande Guerre : expérience combattante et activité poétique, aux éditions Classiques Garnier, dans la collection « Études de littérature des XXème et XXIème siècles ». En 200 pages, l’auteur « observe les interactions de l’expérience combattante et de l’activité poétique chez Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, René Dalize, André Salmon, Georges Duhamel, Jean Le Roy et Louis Krémer. »
Poésie et Première Guerre mondiale – 14-18, le magazine de la Grande Guerre n°52 (février-mars-avril 2011) traite longuement des « Françaises et Allemandes dans la guerre ». Côté français, on peut lire un Poème adressé à Mme G. infirmière-major : « Maintenant elle est faite aux odeurs de clinique / Sans crainte elle veille au chevet des trépassés / Son cœur ne s’émeut plus quand les nerfs convulsés / Dans un spasme dernier, meurent les tétaniques » (in Le Diable au cor, journal de tranchée, février 1916). Côté allemand, on découvre une reproduction d’un poème « très nationaliste » d’Helene Lange, Die Frau, daté de novembre 1914. Dans le même numéro, quatre pages sur Blaise Cendrars, l’écrivain qui signait avec sa main amie, « comme Guillaume Apollinaire, l’un des créateurs de la modernité littéraire en France. » Un encadré de cet article attire notre attention sur Ricciotto Canudo (1877-1923), lui-même poète, qui signa avec Cendrars un appel dans la presse « aux amis de la France » afin qu’ils s’engagent dans la guerre. Pour la petite histoire, on retiendra que Canudo fut le premier à utiliser l’expression « le septième art », après la projection d’un film en 1911…